Souvenirs d’un café rue des Martyrs

Souvenir d’un café rue des Martyrs Extrait du carnet de voyage de Thomas Alverley, 14 avril 1965

Je me souviens précisément de ce jour-là : la pluie drapait Paris d’un voile feutré, et mes chaussures d'un cuir bon marché étaient déjà détrempées quand j’ai poussé sans détour la porte du petit café rue des Martyrs. L’endroit était simple — nappe usée, lampe jaunie, quelques habitués qui ne levaient même pas les yeux — mais il avait une chaleur étrange, presque familière. À l’arrière, derrière le comptoir, un homme au nez anglais et l’accent pareil, fredonnait “Here Comes The Sun” avec un sourire imperceptible. Un transistor posée sur une étagère crachotait une émission de la BBC, qui jurait avec les conversations bien françaises murmurées secrètement. Je compris vite qu’il n’était pas d'ici— ou s’il l’était, c’était un Parisien par choix, par fuite.

Cet homme, je le cherchais depuis deux mois. Mon demi-frère, James. Fils illégitime d’un père trop noble pour assumer ses errances, trop lâche pour les nier. Il avait fuit le manoir familial il y a une dizaine d'année, un soir d’hiver, en emportant une valise pleine de vinyles et le livre de cuisine de notre grand-mère — toujours une énigme. Pourquoi Paris ? Pourquoi ce café ?

Je me suis assis sans me faire remarquer, mimant le Parisien moyen : vieux manteau, pull râpé, l’air un peu blasé. Je n’avais jamais eu autant de plaisir à ne pas ressembler à ce que j’étais. C’est en lui apportant un paquet de thé raffiné que j’ai fini par engager la conversation. Il m’a reconnu, bien sûr. Mais il n’a rien dit... Juste ce sourire et cette réplique : “Tu veux un café ? Il est moins amer qu’à Londres.”

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